Agefi, 25.06.2018

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Malgré le niveau historiquement bas pour la création de start-up hedge fund, Julien Stouff (ex Pictet) voit des opportunités et anticipe des évènements improbables, comme le cygne noir.

Elsa Floret

Julien Stouff. CEO et fondateur de Stouff Capital à Genève.

Le  nombre de start-up hedge fund est au plus bas historique. Julien Stouff, fondateur de Stouff Capital, le reconnaît aisément. Il estime néanmoins que les opportunités n’ont jamais été aussi évidentes: la hausse des taux d’intérêt, le retrait des liquidités des banques centrales, les risques de guerres commerciales et les risques géopolitiques (Brexit, risque politique italien), marquent un frein brutal à la hausse tranquille des marchés (d’actions et obligataires) depuis le début des politiques monétaires non conventionnelles.
Pour Julien Stouff et Gregory Chevalley (son responsable Quant et Risque), cela implique un retour d’une volatilité forte et d’une grande dispersion entre les performances des différentes classes d’actifs et plus particulièrement des actions. Ils lancent ainsi leur hedge fund en anticipant le retour des gestions de type absolute return, qui peuvent également profiter des baisses de marché.

Le nouveau hedge fund repose sur le développement in house d’un processus de gestion unique dite «quantamental», qui marie analyse quantitative (classification des actions selon des facteurs) et approche humaine ou fondamentale.

Entretien avec Julien Stouff, fondateur et CEO de Stouff Capital à Genève, ex responsable global de Pictet Trading Strategy de 2013 à 2018 (département de recherche quantitative et de conseil en investissement).

La création de hedge funds se situe à un taux historiquement bas. Pourquoi lancer Stouff Capital aujourd’hui?

Après 10 ans d’argent facile fourni par les banques centrales, l’investissement passif et la faible liquidité des marches secondaires, ont rendu les marchés fragiles. Notre fonds a été conçu, afin qu’il soit prêt contre des chocs: c’est le retour des stratégies dites de tail risk: le fameux Cygne Noir.

Nous pensons que nous avons passé un point d’inflexion début 2018. Les conditions monétaires passent d’un QE (quantitative easing) à un QT (quantitative tightening). Ce changement de régime a provoqué un mini crack le 31 janvier. La consolidation, qui a fait suite à la hausse de taux de janvier, ne représente pas pour nous le début de la fin. Il s’agit plutôt de la manifestation d’un nouveau régime de volatilité, déclenchée par le retour de l’inflation et de ce fameux «animal spirit.»

Anticipez-vous de forts mouvements baissiers sur le marché des actions?

Nous n’anticipons pas de marché structurellement baissier pour les actions avant 3 ans, mais avec le temps, l’incertitude va croissant. Raison pour laquelle nous recommandons de transformer des portefeuilles simples long actions et obligations par une approche hedge fund initiant des stratégies long et short. Il faut dès maintenant adopter une approche absolute return (décorrélée de marchés purement haussiers), plutôt que le classique buy & hold (risque parité).

En outre, nous avons développé comme spécialité de miser sur des événements rares avec des achats d’assurances via des options. C’est pourquoi, nous nous qualifions de «crisis hunters», dans le sens donné par Nassim Taleb dans ses livres Antifragile ou Le Cygne Noir. Même si nous sommes positifs pour les prochains mois sur l’économie mondiale et les marchés, nous construisons notre portefeuille pour survivre, voire parfois profiter de l’impensable. Notre «edge», qui nous différencie de la plupart des autres hedge funds, est de constamment chercher à identifier des Cygnes Noirs.

Que signifie l’approche quantamentale sur laquelle est basé Stouff Capital?

Il s’agit de notre stratégie de base. Nous incorporons des outils quantitatifs dans une gestion absolute return traditionnelle. Nous aboutissons à une gestion hybride, qui combine des vues discrétionnaires basées sur notre expérience des marchés, l’analyse macro-économique et l’analyse fondamentale, et une gestion disciplinée d’allocation régionale et de sélection de titres globaux basée sur des modèles quantitatifs. Ainsi, un processus de sélection de titres d’entreprises basée sur des modèles factoriels quantitatifs est secondé par la «Matrice»: notre allocateur quantitatif en terme de régions (Etats-Unis, Europe, marchés émergents, Japon).

Par exemple, la matrice recommande actuellement d’avoir une exposition absolute return nette de +30%, spécifiquement haussière sur les actions japonaises et américaines, et baissières sur les marchés émergents. En termes de secteurs, elle favorise la santé, l’énergie et les sociétés liées à la consommation aux Etats-Unis; en Europe, elle recommande d’être surinvesti dans les actions liées à l’immobilier, l’énergie également et les sociétés industrielles. Elle s’avère très contrariante par rapport au marché en sous-pondérant significativement les bancaires. Ainsi, en se basant sur les cours de vendredi, elle recommande de remplacer Swatch et Umicore par Ubisoft et Grifols dans le portefeuille de titres européens.

Notre processus a été construit pour s’adapter à deux types de marché: ceux à tendance haussière et peu volatiles et les marchés turbulents. Pour les premiers, notre matrice et la sélection de titres sont suffisants. Dans le second cas, nous augmentons la part de nos stratégies acheteuses d’options, dites stratégies de convexité, afin de se protéger contre les secousses, voire d’engranger des profits extraordinaires comme en 2008. La conséquence de cette approche binaire est d’offrir une forte corrélation quand les marchés montent et de préserver le capital dans les baisses.

Quel est l’objectif de rendement de Stouff Capital?

De l’ordre de 7 à 12% par an, avec un profil de volatilité conservateur entre 3 et 6%. Notre exposition nette oscille entre -40% et +60%, mais reste autour de +30% dans les marchés haussiers. Notre exposition brute (somme des longs et des shorts) ne dépasse pas 200%.

Quid de vos management fees – habituellement élevés chez les hedge funds – et de votre objectif de masse sous gestion?

Aucun management fee chez Stouff Capital, mais 35% de performance fee. Ce point est crucial pour nous: nous ne voulons être rémunérés que si nous performons (un hedge fund moyen facture 2 % par an, ce qui en cas de non performance implique que son investisseur a vu son investissement fondre de 18% au bout de 10 ans). Nous ne voyons pas l’intérêt également de faire payer des commissions de gestion importantes, comme beaucoup de concurrents, pour obtenir des résultats proches de ceux d’un fond indiciel dont la gestion coûte beaucoup moins cher. En fait, nous sommes moins chers qu’un fonds indiciel dans le cas de marché stable et baissier. Cette frugalité sera également reflétée dans le choix de nos contreparties (prime broker, administrateur etc…).

Il faut savoir que sur 10 hedge funds lancés, 8 échouent. Mais nous sommes confiants dans le fait que la combinaison d’une structure de coûts alignés sur les intérêts des investisseurs, une approche quantamentale et la recherche nécessaire des Cygnes noirs dans un nouveau régime de marché, nous mettent dans une situation favorable.

Considérez-vous que Genève soit un endroit stratégique pour la présence de hedge funds?

Les meilleurs gérants du monde sont présents à Genève. Millennium Management, Brevan Howard, Jabre, Systematica. L’écosystème académique avec l’EPFL, HEG Genève, Lausanne, Saint-Gall, Zurich. La liste des millenials qui souhaitent rejoindre notre industrie est immense. J’ai choisi de m’implanter à Genève pour toutes ces excellentes raisons.